BERTHE Salegos

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Texte d'Anne MALHERBE. Critique d'art, Ecrivain
BERTHE Salegos est une artiste encore peu connue en France. Quoique née à Lille, elle a très tôt vécu dans différents pays, pour se partager désormais entre New York, Paris et Sydney. Ce fait n’est sans doute pas étranger à son travail qui explore les interactions du temps et de l’espace.
 
La vidéo, l’installation, l’environnement sont les médiums aujourd’hui privilégiés par les artistes qui veulent faire expérimenter au visiteur l’effacement des repères spatio-temporels. Réenchantement du monde ? Les recherches de BERTHE Salegos s’appuient sur des considérations scientifiques, une véritable connaissance de l’univers numérique, mais aussi sur une culture puisée dans les philosophies orientales et latino-américaines. Peut-être s’agit-il de science-fiction. L’expérimentation sensorielle vécue par le visiteur est cependant effective. Pour Memory is a fake mirror (2001), la surface de la salle d’exposition, recouverte d’une nappe d’eau, faisait office de creuset. Au cours de l’exposition, l’eau s’est peu à peu évaporée, laissant apparaître les dessins que le passage des visiteurs a inscrits sur la surface d’encre (la poudre minérale qui sert à fabriquer les pierres à encre chinoises) qui gisait au fond de l’eau. Le processus est symbolique : sous la profondeur apparemment immuable de l’eau et sous ses reflets optiquement nets, les mouvements et la durée ont dessiné, sous forme de traces, leur flux continu, illisible, seul résidu de l’installation. Le processus est aussi poétique : l’évaporation du miroir aquatique laissant émerger des îlots ombrés de signes est une vision riche en suggestions et non exempte de beauté. Que dire, cependant, de Immuable - Baby Doll (2003-2004) ? Le visage diffusé par la vidéo se modifie chaque fois qu’un visiteur le regarde. Hybride, ce visage ne se tient pas derrière l’écran, mais possède une surface de contact avec le spectateur: tous deux existent dans un même espace, qu’on ne peut cependant appréhender avec les sens communs.
Mémoire de l’exposition, le visage est aussi sans cesse actualisé par le passage d’un spectateur : son existence appartient donc exclusivement au présent, dont le spectateur, qui voit l’image se modifier sous ses yeux sans en connaître le passé, et sans que son futur soit prévisible (qui sera le prochain visiteur ?), expérimente le caractère irréductible du temps. Daily interpretation (2003-2004) est une vaste installation vidéo en temps réel. Sur les murs se diffuse un film en filmstrip dans lequel les spectateurs naviguent. Par séries verticales, le film se concentre tantôt sur une vue d’ensemble de la salle, tantôt sur un angle, tantôt sur un détail extrêmement minutieux. Différents degrés de profondeur coexistent ainsi sur une même surface, qui prend l’apparence somptueuse d’un tableau coloré en mouvement constant. Ici comme ailleurs, le visiteur est un élément de l’œuvre. Dans ce cas précis, il leste l’image en en faisant, au-delà de la projection, une réalité présente dont le contenu coexiste avec les modifications continuelles du lieu.
 
Ce qui est remarquable dans le travail de BERTHE Salegos, c’est qu’il se tient hors d’une tradition ou d’une culture particulières (nourri par plusieurs, il n’y fait plus référence dans sa réalisation). Dépassant les temps et les lieux connus, il cherche à chaque fois à rendre sensible le présent comme seule réalité, dont le visiteur, quand il l’éprouve, est lui-même le créateur. C’est une recherche qui aujourd’hui se révèle des plus pertinentes. La quasi-ubiquité que permettent les moyens de communication actuels, la perte des notions de frontière et de cultures avec la mondialisation : ces phénomènes nous enseignent au moins une chose, l’expérimentation d’un présent continu. Et l’œuvre plastique est ici moins l’expression de ce présent, qu’elle ne nous donne les moyens de le saisir comme une création que nous renouvelons sans cesse.
 
Anne MALHERBE